Pourquoi aller à la COP26 en train ?
- COP26
- Léonore Moncond'huy
Me voici donc dans le train, sur les rails de Poitiers à Glasgow en passant par Paris, et Londres via l’Eurostar…
Depuis l’annonce de mon déplacement à la COP26, les questionnements de mes concitoyennes et concitoyens sont nombreux sur les réseaux sociaux… Ils ne concernent pas ou peu la teneur du plaidoyer que je vais défendre, les personnalités avec lesquelles je vais échanger, encore moins les coulisses des négociations onusiennes, mais… « Et elle y va comment ?! », avec la bienveillance qui fait souvent le charme des réseaux sociaux.
Rassurez-vous : point d’avion, c’est un train qui m’emmène de Glasgow à Poitiers.
Tout voyage en Europe peut et doit s’effectuer en train.
Pourquoi ?
A vrai dire, je ne me suis même pas posé la question. Lier mes actes à mon discours, c’est une question de cohérence entre engagements politiques et attitude personnelle. Et, à terme, c’est une pratique qui devrait (re)devenir la norme : tout voyage en Europe peut et doit s’effectuer en train.
La COP26 est l’occasion de constater que c’est encore bien loin d’être la norme… « À l’exception de quelques personnalités, la plupart ont préféré l’avion. De quoi faire exploser le bilan carbone de ce sommet. »
Permettez-moi de profiter de ce temps de voyage pour vous convaincre, si besoin était, qu’être engagée pour le climat implique forcément de questionner la consommation que nous faisons de l’avion.
Ecologie et aérien : la priorité c’est de prioriser !
Dans leur dernier rapport, les scientifiques du GIEC sont unanimes, et sans appel : notre monde vit aujourd’hui au-dessus de ses moyens en termes de ressources, et le modèle dans lequel nous vivons aujourd’hui menace directement notre capacité à vivre, tout court, demain. En somme, le climat est un impératif qui s’impose à nous toutes et tous, et nous impose de revoir en profondeur notre modèle de société.
Le problème avec l’aviation n’est pas son principe, mais les excès de son utilisation – comme souvent. L’avion est aujourd’hui considéré comme un transport du quotidien, dans une économie mondialisée, dans un tourisme mondialisé, ce qui n’est pas soutenable. C’est aussi un objet politiquement fort : l’aérien représente plus de 5% de l’influence humaine sur le changement climatique (appelé « forçage radiatif, plus de détails par ici), c’est le moyen de transport le plus polluant rapporté par passager, et surtout c’est le plus inégalitaire socialement : 1% de la population mondiale est responsable de 50% des émissions de GES mondiales dues à l’aérien, et son carburant est le seul à ne pas être taxé.
Non seulement les usages actuels de l’avion ne sont pas soutenables, mais la trajectoire du secteur ne va pas dans le bon sens, voir les travaux de scientifiques et de professionnels du secteur aéronautique, comme Supaéro-Décarbo ou le Shift Project. Malgré les innovations techniques, les émissions de CO² du secteur aérien ont augmenté de 42% entre 2005 et 2019 du seul fait de la croissance du trafic, et à ce rythme la flotte mondiale d’avions aura plus que doublé en 2038.
Aujourd’hui, l’équation est simple, rationnelle. Pour répondre aux engagements de l’Accord de Paris, il faut combiner deux leviers : l’innovation technologique et la sobriété des usages. Donc, la priorisation des usages pour aller vers une réduction du trafic aérien.
Voyager en Europe en train, c’est donc la moindre des choses.
Voyager en train… ça se mérite.
Alors qu’une réservation de billet d’avion, même avec correspondances, se fait en quelques clics, réserver un billet de train international est très compliqué. Pour réserver un Poitiers-Glasgow, impossible de passer par le site de la SNCF. C’est le cas pour de nombreuses réservations internationales, sans parler des trains de nuit, jamais proposés en option sur notre site national. Une complexité qui n’est pas une fatalité, il serait tout à fait possible d’encourager, par une information facilement accessible, les trajets européens en train.
C’est finalement le site RailEurope qui me permet de réserver directement le trajet Poitiers-Glasgow en train :
En termes de temps, sur la base d’un trajet effectué le 10 novembre :
En avion, avec les horaires de train, je pars à 7h20 de Poitiers, pour arriver à Glasgow à 16h30 heure locale, soit près de 10h de voyage, sans compter le trajet depuis l’aéroport vers le centre de Glasgow :
En train, de gare à gare, je pars à 7h28 pour arriver à 18h, heure locale, soit 11h30 minutes.
A peu de choses près, le temps de trajet est donc équivalent.
Difficile de comparer les prix, tant ils sont variables.
Mais RailEurope me permet aussi de comparer mon empreinte carbone entre ce trajet effectué en train, et le même trajet effectué en avion, selon une méthode expliquée dans ce billet.
Mon empreinte carbone est donc 6 fois moins importante en train qu’en avion.
Un calculateur plus précis sur le site http://ecopassenger.org/ me donne à peu près le même ratio en termes de CO2 rejeté, sur la base d’indicateurs plus précis.
Les ratios sont bien sûr bien plus disproportionnés si on s’intéresse aux vols long courrier. Un chiffre seulement : un aller-retour Paris-New York émet 2,5 tonnes EqCO2. Or, 2 tonnes EqCO2, c’est l’empreinte carbone maximale que nous devons avoir, par personne et par an, pour un monde soutenable. Et un Paris-Sydney, c’est presque 7 tonnes EqCO2… En somme, j’aurai beau faire tous les « éco-gestes » quotidiens que je pourrais au cours d’une année entière, ils seront ruinés dès lors que je monterai dans un vol long-courrier.
Pour en savoir plus, BonPote vous propose deux matchs train vs avion : le match aller, et le match retour, et le KO final : Pourquoi arrêter l’avion ne devrait plus être un débat.
Réduire l’avion, facile ?
Spoiler : la réponse est non.
Pour être honnête, j’ai rêvé d’avion, j’ai aimé prendre l’avion, une bonne partie de ma vie, et j’apprécie toujours autant, aujourd’hui, l’imaginaire et l’expérience du voyage en avion.
Parmi tout ce que l’urgence climatique nous impose de réguler, renoncer à la facilité de voyager, de la possibilité retrouver des amis aux 4 coins du monde ou de partir en week-end en Europe, a fait pour moi partie des choix les plus difficiles. Globe-trotteuse invétérée depuis l’adolescence, c’est aussi par amour des langues et du voyage que j’ai choisi mon métier dans la coopération internationale. Comment voir cette facilité à voyager autrement que comme un progrès ? Mais c’est peut-être la pire trahison du progrès dans laquelle j’ai grandi : l’avion, si tentant, est parmi les plus lourds symboles des excès de notre société, et des inégalités flagrantes de notre monde. Et se poser la question de renoncer à l’avion, c’est quand même un problème de riches, que n’aura jamais à se poser l’immense majorité de l’humanité.
Ainsi, peu à peu, travailler dans un univers où faire des sauts de puce en avion à l’autre bout du monde pour quelques heures de réunion est la norme est devenu pour moi éclatant d’incohérence ; et le besoin de mettre en accord mon quotidien et mes convictions, tout comme le fait d’adopter un rôle d’élue dont il est légitime d’attendre de l’exemplarité, m’ont peu à peu conduite à la sobriété aérienne… heureuse !
Car la bonne nouvelle, c’est qu’essayer le voyage « zéro avion », c’est l’adopter. Profiter du paysage, du charme des gares. S’habituer au confort d’une arrivée directement au centre d’une grande ville plutôt que dans les zones aéroportuaires froides et homogènes. Vivre une aventure en train de nuit, dans « le plus grand hôtel de France ! », vantait la SNCF il y a encore peu. Et en partant de l’expérience du « voyager autrement », retrouver le goût de l’ « extra-ordinaire »…
Alors, si l’on changeait de réflexe ? Réserver l’avion pour des motifs ultra-prioritaires, accepter de rogner un peu de notre confort (un « confort » que vos grands parents auraient sans aucun doute qualifié de « luxe »!), et remplacer le « Pourquoi ne pas prendre l’avion ? » par le « Pourquoi prendre l’avion ? ».
Désormais, par conviction, par exemplarité, autant que par amour du rail, pour cette COP26, comme pour tous mes trajets européens, mon choix est fait : ce sera le train !
Cet article a 3 commentaires
Bonjour Madame la maire de Poitiers,
Merci pour votre blog et de donner la possibilité de dialoguer via les commentaires.
Le temps de trajet est un sujet mais il y a aussi le problème du coût. Pourquoi le train coûte-il si cher ? Votre trajet aller coûte 390€ contre moins de 100€ pour un Poitiers/Londres + Londres Glasgow (avec Ryanair + Easyjet). Un Bordeaux/Glasgow en avion coûte 37€ alors que le Poitiers/Bordeaux en train 115€
On peut bien sur dire que les lowcost ont une pratique de dumping social et que leur modèle économique est biaisé par des subventions qu'ils reçoivent, mais la SNCF est également beaucoup aidée. Et si je prend Air France (beaucoup aidé récemment aussi mais qui paye ses impôts en France et recrute ses salariés en droit français), il propose des Paris/NY moins cher que votre Poitiers/Glasgow.
Je suis bien d'accord que "se poser la question de renoncer à l’avion, c’est quand même un problème de riches" mais substituer le train à l'avion c'est une solution d'encore plus riches... non ?
Merci.
Parfaitement en résonance avec mon article:
https://blog.aquaelis.fr/2021/10/27/voyager-en-train-une-nouvelle-aventure/
Bonjour,
Une petite anecdote : il y a à peine 10 ans, on pouvait prendre le train le soir à Poitiers et se réveiller au petit matin à Madrid. Ce train espagnol opéré par la RENFE avait un très haut niveau de confort avec des compartiments individuels et une voiture restaurant. Mais très peu de poitevins le prenaient car personne ne connaissait son existence qui était vraiment confidentielle (alors que la Communauté d'agglomération communiquait largement sur les vols à l'aéroport de Poitiers-Biard). Personne ne s'est rendu compte de sa "suspension", officiellement en raison des travaux de construction des raccordements de la LGV qui avaient lieu de nuit. Ce train n'est en définitif jamais revenu...
C'est une illustration de la politique de report modal à l'envers qui a été encouragée par tous les acteurs politiques depuis les années 2000.
En tout cas, merci de conformer vos actes avec vos discours ! (comme d'autres responsables écologistes qui n'ont pas cédé à la tentation du jet privé pour se rendre à Glasgow)