Dans un courrier en date du 12 septembre, le Préfet de la Vienne a invité la Ville de Poitiers et Grand Poitiers à demander le remboursement de la subvention octroyée à Alternatiba le 27 juin dernier pour l’organisation de son “Village des alternatives”, au motif que celle-ci serait “manifestement incompatible avec le Contrat d’engagement Républicain souscrit par l’association”.

Pour rappel, il s’agit d’une manifestation grand public, qui comprenait plus d’une centaine d’ateliers, de stands, de débats, autour de l’ensemble des moyens dont les citoyennes et citoyens peuvent se saisir pour faire avancer la transition écologique, la justice sociale, par l’alimentation, l’éducation, la gestion des déchets ou encore les mobilités. Un vrai succès, qui n’a occasionné aucun trouble à l’ordre public par ailleurs.

Pour rappel aussi, la première édition du Village des alternatives, en 2017, était déjà soutenue par la Ville de Poitiers – et par la Région Nouvelle-Aquitaine par ailleurs, et, déjà, le programme comprenait une intervention – sur la grande scène cette fois-ci – qui questionnait : “Résistances : à quel moment bascule-t-on de la colère, de l’indignation, à la résistance ?”.

Alors, qu’est-ce qui a changé depuis ?

Depuis, une loi “Confortant le respect des principes de la République”, dite loi “Séparatisme”, a été votée, qui oblige notamment toute association bénéficiaire de fonds publics à signer un “Contrat d’engagement républicain” – une obligation à laquelle il est demandé à toutes les associations soutenues par la Ville de Poitiers de se conformer.

Ce Contrat d’engagement Républicain demande aux associations de s’engager à “respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République”, et à “s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public”. Le décret d’application prévoit en outre que les associations “ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public”.

Pour rappel, cette loi avait vocation à “lutter contre les “séparatismes”, en particulier religieux, et à donner à la République les “moyens d’agir contre ceux qui veulent la déstabiliser”.

Pour information, cette loi avait été contestée lors de son vote par une très large représentation d’associations, depuis le Mouvement Associatif, le Haut Conseil de la Vie Associative, jusqu’à la Commission Consultative des Droits de l’Homme ou la Défenseure des Droits. Elle fait aujourd’hui l’objet d’un recours, porté par plus de 25 organisations associatives – LDH, Mouvement Associatif, Planning familial… – et syndicales – FSU, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France …-

Ce qu’ils craignaient toutes et tous, à travers cette loi ? Le déséquilibre que son application risquait de produire entre le respect de l’ordre public et des valeurs républicaines d’une part, et le respect des libertés publiques d’autres part, en particulier la liberté d’expression, et des libertés associatives. Et par ailleurs, une reprise en main de l’Etat sur les liens entre collectivités et associations, qui étaient jusqu’à présent et depuis une Charte de 2014 consacrés dans un principe de confiance réciproque.

Ce qui a changé, depuis 2017, c’est aussi la couleur politique de la municipalité, et, sans lui donner plus d’importance qu’elle ne le mérite, il ne faut pas occulter la lecture politique qui peut être faite de cette situation. Depuis deux ans, il est désormais habituel qu’on tente de faire passer nos positions comme étant hors du champ républicain.

Alors, je souhaite être claire.

Nous souscrivons pleinement au principe que l’Etat se dote de moyens pour lutter plus efficacement contre des associations ou groupements qui promeuvent différentes formes de séparatismes et militent parfois violemment contre l’Etat de droit démocratique.

Nous souscrivons aussi pleinement à l’idée que l’action institutionnelle d’une collectivité territoriale et de ses élus ne doit pas être confondue avec l’activisme d’associations et de militants.

En revanche.

Considérons-nous qu’on puisse préjuger qu’une manifestation va contrevenir au Contrat d’engagement républicain avant même qu’elle se tienne ? Non.

Considérons-nous qu’il est interdit de mettre la désobéissance civile en débat dans l’espace public ? Non.

Considérons-nous que parler de désobéissance civile, c’est inciter à entreprendre une action manifestement contraire à la loi ? Non.

Toutes et tous, nous reconnaissons d’ailleurs majoritairement les avancées permises par la désobéissance civile. Toutes et tous, nous saluons unanimement, avec des prises de position unanimement élogieuses au Conseil Municipal, le choix d’élèves poitevins de donner à leur école le nom de Gisèle Halimi. Je crois qu’aucun d’entre nous remet en cause la légitimité de la place de Martin Luther King dans nos livres d’histoire. Et ce faisant, nous rendons hommage à des femmes et des hommes dont les combats pour les droits civiques, pour l’égalité, n’auraient été gagnés sans une forme de désobéissance civile.

Et plus que tout, nous considérons que la liberté d’expression et les libertés associatives telles que définies notamment dans la loi de 1901 sont des principes fondateurs du pacte républicain, qui doivent être réaffirmés, et confortés. Ainsi, quelle que soit son opinion, personnelle, sur le mode d’action qu’est la désobéissance civile, nous considérons que le principe la liberté d’expression, et le principe des libertés associatives, consacrent et protègent le droit d’en parler dans le cadre d’événements tels que le Festival des Alternatives.

Ainsi, nous n’entendons pas, ni ici ni nulle part ailleurs, nous opposer à la loi. Simplement, nous ne partageons pas l’interprétation qu’en fait la Préfecture de la Vienne.

Quelle que soit son issue, cette situation doit nous alerter sur les risques que représente ce contrat d’engagement républicain.

Car l’enjeu majeur est là.

Rappelons que cette loi était censée nous protéger contre le séparatisme religieux, et que son objet était « de protéger la liberté des associations contre les dérives de quelques structures », selon Sarah El Hairy, alors Secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et de l’engagement, qui répondait aux inquiétudes exprimées par le monde associatif, dans son ensemble. Cette loi devait être, à l’égard des associations, non pas “une arme contre elles mais au contraire un bouclier pour leurs libertés”. Or, cette loi serait ici très clairement utilisée pour limiter la liberté d’expression d’associations et leur capacité à faire vivre le débat.

Une loi, créant un contrat d’engagement républicain, qui n’a depuis permis aucune décision de justice pour des faits de séparatisme religieux, s’appliquerait en premier lieu à une association écologiste, pourtant connue et reconnue de longue date pour son projet, ses méthodes non violentes. Et qui contribue, par ailleurs, à faire avancer le droit, en faisant peu à peu reconnaître le principe juridique d’« état de nécessité » comme étant légitime face à l’urgence climatique.

Et demain ?

Alors que l’extrême droite est littéralement aux portes du pouvoir, il faut nous rendre compte de la dangerosité que représenterait un tel outil juridique, s’il tombait entre les mains bien peu républicaines de l’extrême droite.

Avec une telle imprécision dans la définition de ce qui correspond aux valeurs de la République et ce qui n’y correspond pas, un tel pouvoir discrétionnaire de l’Etat hors cadre de recours classique, un triple glissement depuis les graves troubles à l’ordre public vers toute action contraire à la loi, depuis la condamnation d’une action vers la condamnation d’une incitation à agir, de l’illégalité manifeste à la présomption d’illégalité, par anticipation,

De quels garde-fous disposerons-nous, le jour où cette loi sera mobilisée pour rendre peu à peu illégale, inaudible, toute forme de contestation, ou d’opinion contraire à l’opinion officiellement admise ?

Dans son essai sur “La désobéissance civile”, Hannah Arendt s’interroge : est-il possible de “faire une place à la désobéissance civile dans le fonctionnement de nos institutions publiques” ?

Je vous propose de répondre que oui. La République française comprend, parmi les principes fondamentaux inscrits à l’article premier de notre Constitution, celui de la démocratie. La République garantit, protège, encadre, la démocratie, et garantit, protège, encadre donc la libre expression des opinions, la diversité des modes d’engagement associatifs, dans lesquels s’inscrit la question de la désobéissance civile, lorsqu’elle est posée avec non-violence.

Ainsi, je vous propose de voter pour le maintien à la subvention accordée à Alternatiba.