Après le confinement, faisons école dehors !

Tribune co-rédigée par Léonore Moncond’huy (alors Présidente du Groupe Ecologiste et Citoyen) et Stéphane Trifletti (alors Conseiller Régional Education Nature Développement Soutenable de Nouvelle-Aquitaine).

Retrouvez la tribune et ses signataires sur le site de Médiapart.

La reprise progressive de l’école se dessine à partir du 11 mai prochain.

Les consignes sanitaires à respecter s’annoncent drastiques, avec un petit nombre d’élèves, et des distances de sécurité à garantir, souvent difficiles à mettre en œuvre.

De surcroît, alors que nous viendrons de passer plus de deux mois enfermés, la belle saison nous appellera à l’extérieur… Et si nous faisions l’école dehors ?

En mai, l’appel du grand air se lira dans les yeux de tous, les enfants comme leurs aînés. Retourner à l’école, pour mieux s’échapper des murs de ses classes : une solution sanitaire, sociale et pédagogique, tant des études mettent en évidence le rôle du dehors dans la régulation de l’énergie, voire de la violence, accumulée par les plus jeunes dans une situation d’enfermement, physique ou social.

Mais l’éducation dehors est aussi à considérer comme le premier pas vers l’éducation nature, qui est dans toutes les envies éducatives du moment. L’écologie occupe de manière croissante nos préoccupations, a fortiori dans nos réalités les plus quotidiennes – nos territoires, notre alimentation, notre jardin, l’école de nos enfants, nos transports, notre habitat.

L’intérêt sanitaire, pédagogique, psychologique, écologique, d’une éducation ouverte sur l’extérieur, la nature, n’est plus à prouver. Outre l’immunité sanitaire à laquelle elle contribue, l’espace de sensations et d’expression physiques uniques qu’elle constitue, elle éduque aussi, par la force des choses (la météo échappe à mon pouvoir, ma colère ne fait pas pousser les plantes plus vite…), à la renonciation à la “toute-puissance” – ce qui n’est pas sans résonner avec le contexte actuel. C’est un outil de résilience éducative.

Le « syndrome du manque de nature » a été maintes fois documenté : priver un enfant de contact avec la nature, c’est lui faire encourir des risques de santé, de développement, d’ordre psychologique. Et ce qui touche les plus jeunes nous touche aussi, nous, adultes non moins sédentarisés qu’eux et tout aussi rivés à nos écrans.

Le psychologue Peter Kahn va plus loin et parle d’amnésie environnementale générationnelle : la diminution des expériences de nature chez les jeunes appauvrirait, de génération en génération, le niveau de biodiversité perçu comme “normal”, pour les jeunes, et les futurs adultes qu’ils deviendront. Trop d’habitants des zones urbaines, mais aussi rurales, ont perdu tout contact avec l’extérieur, la nature, des sensations, tout comme des savoir-faire qui y sont liés. 

Politiquement parlant, pour faire éclore, demain, un monde écologique, c’est dès l’enfance et l’adolescence que doit être prise l’habitude du dehors, le goût du contact avec la nature. Pourtant, l’éducation en plein air fait peur, et nos écoles, nos centres de loisirs, semblent aseptisés, étanches à l’infiltration des eaux comme à la nature, reflets d’une société trop souvent obsédée par l’hygiène, la sécurité, la propreté, le contrôle, le support numérique rassurant permanent qui, d’outil, devient quelquefois finalité. Au risque de proposer à nos enfants une éducation “hors-sol”.

Laissons les enfants grimper aux arbres, construire des cabanes, se salir les mains dans la terre, élever des petites bêtes, et gageons que cette « éducation buissonnière » au contact du dehors formera des citoyens conscients de l’importance de protéger la nature !

« L’accès au dehors, à la nature, est une soupape apaisante et équilibrante pour l’enfant […] une ‘soupape’ presque nécessaire, une alternative non négligeable à la violence ; l’éducation dehors, dans la nature, reste très concrètement une des meilleures défenses et illustrations, un des meilleurs moyens pour sensibiliser, permettre à l’enfant de comprendre à son échelle […] les grands enjeux de l’environnement et du développement durable » (1).

Ainsi, on parle beaucoup ces jours-ci d’ « urbanisme tactique », et si on parlait d’ « éducation tactique » ? Ou comment profiter d’un contexte exceptionnel, pour expérimenter, oser, démontrer la pertinence, ou au contraire l’infirmer, de propositions tentantes ?

En somme : et si ce contexte d’immédiat après-COVID nous donnait l’opportunité d’expérimenter, vraiment, l’éducation dehors ? Saturés d’écrans, joignons la bouffée d’air de la reprise, à l’innovation pédagogique.

Professeur·e·s des écoles ; enseignant·e·s, formateurs-trices ; éducateurs et éducatrices de tous ordres : osez ! C’est une pratique pédagogique que nous inspire l’éducation populaire, mais aussi déjà expérimentée en milieu scolaire dans de nombreux pays avec l’« outdoor learning », ou encore les « forests schools », et expérimentées avec succès aujourd’hui dans quelques écoles en France. Et cela n’est pas réservé qu’à certains espaces éducatifs : même les grandes villes ont du dehors qu’il est possible de s’approprier, dans l’espace public, dans les parcs ou en bas des tours, ou en tissant des partenariats avec des particuliers propriétaires de jardins… Nombre de ressources existent, et la continuité pédagogique des semaines passées a montré combien votre inventivité, votre adaptabilité, était sans limite. Après le défi de la pédagogie 100% connectée, testez la pédagogie 100% déconnectée et low-tech… Ou connectée, au monde extérieur uniquement !

« C’est dans le manque que l’on se rend compte de la valeur des choses », et le confinement ne nous aura que trop fait ressentir, espérons-le, combien nous sommes des êtres qui avons besoin du dehors. Ainsi, cette expérimentation temporaire pourrait, par la force de l’exemple positif, plaider pour un retour pérenne du dehors, de la nature, dans l’éducation : re-végétaliser les cours d’école, installer des espaces cultivés, une présence animale… Financer les moyens de transport permettant à chaque groupe d’enfants des zones les plus urbaines de s’échapper, un temps, du béton. Et relancer une politique ambitieuse de classes vertes et de séjours de vacances, à la mer, la montagne ou la campagne, immergées dans le réel, pour offrir cette chance éducative collective à chaque enfant.

Rebondir en éducation, après la période de Covid-19, c’est se réconcilier avec le vivant, dans un choix éclairé. C’est sentir combien l’humanité ne peut être dissociée de la nature, en une éthique de la réciprocité, de reconnaissance mutuelle envers toutes les formes du vivant.

Pour un droit à l’éducation nature pour toutes et tous !

(1) Louis Espinassous, « Pour une éducation buissonnière », Editions Hesse.