Carnet de bord de la COP26 - Jour 4
- Carnet de bord, COP26
- Léonore Moncond'huy
Aujourd’hui, nous nous réveillons avec une petite victoire : l’inscription du rôle des collectivités dans le préambule de la future déclaration de Glasgow a été retenu. Vous pourrez notamment lire que le texte « highlights the urgent need for multilevel and cooperative action » [« Reconnaît le besoin urgent d’une action multi-niveaux et coopérative »], et qu’il reconnaît « the important role of non-Party stakeholders, including […]local and regional governments in contributing to progress towards the goals of the Paris Agreement » [« le rôle important des organisations non-parties de la COP, incluant les gouvernements locaux et régionaux, dans l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris »]. Peu ou prou les engagements déjà présents dans l’Accord de Paris, mais qui avaient disparu du premier brouillon de la déclaration de Glasgow…
Chacun ses combats, celui des collectivités semble avoir été entendu par les rédacteurs, reste à faire en sorte de passer de l’écrit à l’action… et ce combat-là dépasse de bien loin celui des collectivités.
La journée permet de découvrir d’autres espaces de la COP : autant d’aperçus de tous les espaces d’engagement mobilisés pour le climat, autant de moyens de pressions qui visent à influencer les décisions de la COP.
PEOPLE’s DAY
Une plénière, d’abord, bien plus politique qu’hier : « the People’s plenary », la plénière des peuples. Je vois beaucoup de jeunes prendre la parole, représentants des nombreuses organisations du mouvement climat. Un slogan revient, dans chacune des interventions auxquelles j’ai pu assister : « Science has delivered. Now it’s your turn ». « La science a parlé. Maintenant, c’est à vous de jouer ». Nous, les politiques. On y revient : la clé de la COP, ce n’est pas la COP. Ce sont les décideurs politiques.
La plénière terminée, les participants sortent en masse de la salle, pour une manifestation dont l’énergie ferait pâlir d’envie toute organisation politique. Nous les rejoignons. Des chants, des slogans, « This is what the people looks like ! », « We are unstoppable, another world is possible ! »… Energie, détermination, colère.
Comme cela fait du bien ! Sortir des espaces feutrés de la COP pour retrouver l’énergie et l’urgence portée par le mouvement citoyen, dont je me sens partie prenante. Me ressourcer de la justesse de leurs revendications, de la justesse de leur colère. Dans ces moments-là, je me demande toujours si nous, élus écologistes, faisons assez ? N’y a-t-il pas un décalage entre la radicalité des changements attendus, et l’inertie institutionnelle dont nous acceptons de jouer le jeu, en un sens ? Mais la gravité de la situation mondiale impose l’humilité ; à défaut de faire « assez » pour que notre impact soit global, je me sens solide lorsque j’atteste que nous faisons « de notre mieux »…
Devant l’entrée de la COP, la parole est laissée à des porte-voix des citoyens de pays dits « du Sud », dont de nombreux peuples autochtones.
Je suis particulièrement touchée par la prise de parole de la toute jeune Hafsia, tchadienne de 15 ans : « Mon pays a été exclu des négociations. Et pourtant, chez nous, le changement climatique est une réalité. Le lac Tchad se vide, les populations se déplacent. Et 70% de notre population, ce sont des enfants ».
Le Tchad est parmi les pays du monde les plus touchés par le changement climatique. Je cherche à la rejoindre : Poitiers est la seule ville française à être jumelée à une ville tchadienne, Moundou. J’aurais aimé que cette jeune Hafsia me permette de donner un visage humain à ce pays ami que je ne connais pas. Dans la foule, je n’y parviens pas. Elle restera pour moi, en tout cas, l’un des visages humains les plus marquants de cette COP. L’un des visages humains d’un changement climatique dont les conséquences, physiques, sont implacables :
« Tout ce qui est décidé pour nous, sans nous, est décidé contre nous », conclut un autre porte-parole d’un mouvement climat africain, dont je n’ai pas entendu le nom.
La « People’s march » part dans les rues de Glasgow, guidée par une « ligne rouge » du climat portée collectivement, par les organisateurs. Autour de moi, on croit souvent que les manifestations et mouvements climat sont des mobilisations spontanées : il n’en est rien. L’organisation de la mobilisation du mouvement climat sur la COP est un défi stratégique et logistique énorme, il n’y a qu’à voir le site de la Coalition COP26, qui pilote toute la mobilisation des mouvements climat, pour s’en convaincre. Si le sujet vous intéresse, un conseil vidéo au passage : le documentaire Désobéissant.e.s, qui retrace le parcours de jeunes activistes climat en France.
JEUNESSE ET CLIMAT ?
Entre une interview et un sandwich, de retour dans les couloirs de la COP, j’ai répondu à l’invitation d’étudiantes et étudiants, en école d’ingénieur pour la plupart, engagés et engagées pour le climat, qui comme moi reviennent de la manifestation.
Leurs questions portent sur le pouvoir réel de l’écologie à l’échelle locale, le rôle de l’éducation, et la place de la jeunesse. Là-dessus, nous partageons une lassitude commune – ils et elles sont bien plus jeunes que moi, mais comme on est toujours « le jeune » de quelqu’un, je suis souvent « la jeune » des politiques. Nous sommes lassés, voire en colère, d’entendre si souvent de la part de décideurs « Les jeunes, vous êtes notre espoir », « les jeunes vous êtes l’avenir ». Encore un chauffeur de taxi me le disait hier. Scoop : ce n’est pas sur « l’espoir » que se construit notre avenir, aujourd’hui, et nous ne sommes pas là pour être des cautions de bonne conscience. Nous n’avons pas le temps d’attendre, car nous ne pourrons pas rattraper les décisions que ne prennent pas, aujourd’hui, celles et ceux qui sont aux responsabilités. « Comment faire en sorte que la jeunesse soit mieux prise en compte ? », me demandent-ils. « La mettre aux responsabilités ». Ces temps d’échange sont pour moi l’occasion de tenter de les convaincre que l’action politique, qui suscite tant de défiance, est pourtant indispensable pour gagner la bataille climatique.
Trente années plus tôt que nous, s’engageait Jean Jouzel, que je croise au pavillon de la France : climatologue, il alerte sur la gravité du changement climatique depuis des années ; et il continue, dans les couloirs des COP, comme dans les conférences du GIEC ou des Ministères, à tenter d’influer sur les décisions des gouvernements. Sa combativité m’impressionne.
Le combat pour le #climat a ses pionniers : le climatologue @JouzelJean en fait partie. Infatigable lanceur d’alerte depuis plus de 30 ans, il parcourt encore les couloirs des #COP ! L’occasion pour moi de le remercier pour son action… [1/] pic.twitter.com/XHe8djhfns
— Léonore Moncond'huy (@L_Moncondhuy) November 12, 2021
ET LE DROIT DANS Tout ça ?
Il est essentiel d’investir les espaces complémentaires de la mobilisation citoyenne, de la sphère politique… mais aussi des espaces juridiques.
Je participe à un « side event »… ou plutôt un « événement parallèle », car porté par l’Organisation Internationale de la Francophonie, qui nous en donne un aperçu : « Le droit au carrefour de nouvelles pratiques en matière d’environnement et de lutte contre les changements climatique ».
La COP26 est importante aussi car elle s’inscrit dans la suite de l’Accord de Paris, qui est un traité international. En se fondant sur ce traité, les actions en justice telles que celle portée par la pétition de Notre Affaire à tous signée par 2M de personnes rendent peu à peu ces engagements climatiques contraignants. C’est ce qui a permis la condamnation de la France pour inaction climatique : la France ne tient pas les engagements qu’elle avait pris dans le cadre de l’Accord de Paris. Les décisions prises à Glasgow peuvent ainsi devenir juridiquement opposables aux Etats.
RETOUR EN PLENIERE
Retour en plénière de travail. Chacune des parties exprime des désaccords avec la nouvelle version du texte proposée – nous en sommes à la deuxième, on nous en promet trois ou quatre d’ici la fin des négociations. Quelles sont les objections principales ? Elles concernent :
- Les engagements pour la réduction des émissions. Concrètement, on sait que les engagements post-Accord de Paris nous conduisent tout droit vers une hausse d’au moins 2,4° – et qu’ils ne sont pas respectés. Le texte ira plus loin que les engagements précédents. Mais le débat tient parfois à peu de choses ! Le débat du jour : Est-ce que le mot « requests », présent dans la 2e version, est plus fort que le verbe « urges » de la 1ère version ; en d’autres termes est-ce que le changement climatique « demande » (des nouveaux plans climat plus forts) ou est-ce qu’il les « exige »…
- La finance, depuis les pays riches vers les pays pauvres. Vous souvenez-vous du fonds de 100Mds promis en 2009, jamais engagé ? Ils demandent maintenant 500 Milliards, à moitié dédiés à l’adaptation. Le débat concerne autant les montants que la manière dont ils sont affectés : comment permettre aux pays pauvres d’y avoir vraiment accès ? Ils demandent des conditions d’accès facilitées, et une plus grande transparence sur l’affectation effective de ces fonds. Enfin, la question des « pertes et dommages » est au cœur des échanges : quelle compensation, par les états historiquement responsables du changement climatique, des coûts déjà engendrés par les catastrophes du changement climatique ?
- Et le marché carbone (le fameux Article 6 dont je parlais hier). Il s‘agit principalement de garantir que les « bons carbone » achetés par les pays polluants contribueraient effectivement à la réduction des émissions, ce qui est très difficile à mesurer et certifier.
Les négociations devaient terminer vendredi soir, elles se poursuivront en réalité dans la nuit, avec une annonce finale prévue pour samedi.
Beaucoup moins de monde à la COP ce soir : la plénière annoncée n’a finalement pas lieu, restent les journalistes, et les plus avertis pour suivre les négociations. Entre les couloirs de Glasgow et l’avenir de l’humanité, il y a un pas à franchir, facilement grisant pour qui connaît l’ambiance « fins de négociations », mais vertigineux dès lors qu’on prend un instant de recul.
Me revient en tête la phrase citée par Antonio Guterres « Power is never given, it is always taken ». Si les décideurs nationaux ne parviennent pas à s’accorder pour agir à la hauteur des enjeux, la journée d’aujourd’hui témoigne du nombre d’énergies politiques, citoyennes, juridiques, scientifiques, à mobiliser pour « reprendre le pouvoir », autrement, sur notre avenir.
Cette publication a un commentaire
Ce que vous écrivez sur twitter à l'instant me touche énormément :
"À nous, localement, de nous montrer plus forts que les divisions qui décrédibilisent les institutions multilatérales.
A nous de tout faire pour garder vivante la confiance des citoyennes et citoyens en notre pouvoir d’agir, et de reprendre en main notre avenir"
La dernière fois que j'ai entendu quelqu'un prononcer des mots semblables, c'était une femme seule à faire face à une situation inédite, au milieu de rares hommes supposément politiques, qui faisaient peine à voir tant leur hébêtement était partagé par des millions de gens, sur un plateau de télévision, un soir de résultat électoral. Il devait être 21h00. C'était le 21 avril 2002. Inutile qu'il est de préciser mieux le contexte. Par la suite, cette femme s'est qualifié pour le second tour de l'élection présidentielle. Je vous souhaite le même destin et même plus. L'art de gouverner n'est il pas parfois de savoir faire résilience ? Parfois, dans la résilience, les femmes paraissent supérieures aux hommes.