Carnet de bord de la COP26 - Jour 3

tous les pays doivent réaliser que l’ancien modèle de développement, qui brûle du carbone, est un arrêt de mort pour leurs économies et pour notre planète

Aujourd’hui, c’est dans l’espace des négociations officielles que je vous emmène, à l’occasion du #CitiesDay. Chaque journée de COP avait une thématique particulière ; aujourd’hui, c’était la journée dédiée aux collectivités. C’est par ailleurs le dernier jour officiel des négociations.

A mesure que l’on se rapproche des espaces officiels de l’ONU, l’ambiance évolue.

En avant pour l’étape importante de la matinée : la rencontre avec le Secrétaire Général de l’ONU. 

Le Secrétaire Général de l’ONU n’a jamais réuni les Mairies lors d’une COP, c’est donc une première. Je fais partie d’une délégation de 10 Maires, issus des 7 continents, aux côtés du Maire de Londres, de la Maire de Glasgow, du Maire de Kuala Lumpur, le Maire d’Austin au Texas… C’est Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) que je représente.

Deux minutes par personne, pour répondre à 3 questions posées par l’ONU : Quelles expériences concrètes ancrées dans la démarche « Cities Race to Zero » ? Comment faire en sorte de les déployer pour que plus de villes s’engagent ? Que peut faire l’ONU pour nous aider ? 

Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, a le sens de la formule. Pas de retenue dans les mots, mais de la retenue dans l’intonation. Si besoin était, pour le confirmer, voir ses récentes déclarations sur la crise climatique.

Juste avant la COP : « Le temps des subtilités diplomatiques est révolu. Si les gouvernements, en particulier ceux du G20, ne se lèvent pas et ne prennent pas la tête de cet effort, nous nous dirigeons vers une terrible souffrance humaine. Mais tous les pays doivent réaliser que l’ancien modèle de développement, qui brûle du carbone, est un arrêt de mort pour leurs économies et pour notre planète. »

Dans son discours d’ouverture de la COP : « Le moment est venu de dire : « Ça suffit ! » Détruire la biodiversité ? Ça suffit ! S’autodétruire à cause du carbone ? Ça suffit ! Jeter la nature à l’égout ? Ça suffit ! Brûler, forer et excaver toujours plus profond ? Ça suffit ! Nous sommes en train de creuser notre propre tombe ».

Aujourd’hui, je suis sensible à la sincérité apparente de son propos, qui colle avec la liberté de ton de ses déclarations. Ouvrant son propos par la mention de ses anciennes fonctions de « President of a local council », il fait tout pour nous plaire.

Une heure d’échanges, nous sommes assez peu à respecter les consignes de temps et les questions, mais les propos sont passionnants. Certains Maires ont eux aussi le sens de la formule, je retiens le « There used to be climate change deniers, now States are climate change delayers. We are the doers, they are the delayers » [Bien moins percutant en français : « Il y avait hier les climato-sceptiques, aujourd’hui, nous avons les climato-ralentisseurs. Nous sommes ceux qui agissent, ils sont ceux qui retardent »] du Maire de Londres Sadiq Khan. Je retiens aussi la lucidité du Maire d’Austin au Texas, dont le gouvernement états-uniens ne brille pas par son engagement, et dont l’économie de son Etat le Texas est entièrement fondée sur l’exploitation d’énergies fossiles.  Nous convergeons tous dans un sens : les collectivités sont en première ligne pour agir, et nous sommes une source d’espoir pour l’issue de la bataille climatique.

Un avis que semble partager le Secrétaire Général… mais pouvait-il, ici, tenir un autre discours ?

I count on you capacity to put pressure on your governments

Florilège : 

Une introduction sous le signe de l’urgence climatique « we are killing the possibility to remain under 1,5° », « the question of adaptation is absolutely crucial, mostly for vulnerable countries : they are already suffering from dramatic impact, and don’t have resources to face climate change », « Let us not wait 5 more years to act. From now on, climate is a daily battle ».

« Climate issues would be much simpler if it were a federation of Cities ! »

[« La question du Climat serait beaucoup plus simple à régler si le monde était une fédération de villes ! »]

« I count on you capacity to put pressure on your governments »

[ « Je compte sur votre capacité de faire pression sur vos gouvernements »]

« Each individual effort you are making in your cities is important », qui me rappelle le « Le peu qu’on peut faire, le très peu qu’on peut faire, il faut le faire », de Théodore Monod.

« It is essential that we mobilize cities to prepare the next COP, COP27 »

[Il est essentiel que nous mobilisions les collectivités en préparation de la prochaine COP]

« Power is never given, power is always taken », conclut-il, magistral. Le pouvoir n’est jamais donné, il se prend.

A l’issue de la réunion, il termine, en me glissant dans un français parfait (c’est une obligation pour tout Secrétaire Général de l’ONU, le français faisant partie des langues officielles des nations unies !) qu’il se souvient très bien de Poitiers, qu’il a visité en 1964.

M. Guterres est une personnalité plus qu’inspirante, une vraie force tranquille qui force le respect. Mais je me demande ce qui le fait tenir, au quotidien : comment tenir lorsque l’on passer ses journées à s’égosiller sur l’urgence d’agir, depuis une position censée représenter l’accord des états du monde entier…, face à une inaudibilité aussi flagrante. Il est le garant d’un dialogue multilatéral, qui a rarement autant été remis en cause qu’aujourd’hui, par le retour en force des nationalismes dans le monde : quel poids a-t-il ? 

Quel poids a son soutien envers les villes ? Si l’on en croit nos échanges, nous convergeons dans l’importance stratégique de reconnaître le rôle des politiques locales.

Le changement climatique obéit à des principes physiques, pas à ceux d’une économie virtuelle

Pourtant, en sortant, les villes et gouvernements locaux ne sont toujours pas mentionnés dans le document final de la COP. L’Accord de Paris sanctuarisait pourtant ce terme dans le traité. Plus de vingt délégations nationales ont été mobilisées par CGLU hier, pour qu’elles alertent les négociateurs nationaux sur le sujet. Moi-même, jusqu’au soir, tente de porter ce plaidoyer auprès de la délégation française – qui n’avait pas travaillé la position nationale avec les représentants des collectivités engagés dans la COP. Décentraliser la gouvernance internationale, fait écho à nos propres enjeux de centralisation à la française… Ici, on parle bien seulement de quelques mots dans le préambule ! Quelques mots… très symboliques sur la reconnaissance du rôle des collectivités, et qui peuvent pourtant changer la donne dès lors qu’il s’agira de la manière dont affecter des mesures de soutien éventuellement négociées. 

Notre badge bleu de « parties » nous permet d’assister aux plénières, et à de nombreux groupes de travail. Des négociations sous « observation », gage de transparence des échanges. 

Je me rends en plénière, pour un temps de négociations autour de l’ « Article 6 » : le seul article dont les règles d’application ne sont pas encore finalisées suite à l’accord de Paris, un enjeu majeur car toutes les COP depuis 2015 avaient été un échec à ce sujet. Il s’agit de s’accorder sur les « marchés carbone », qui permettent aux Etats et entreprises de financer des projets « verts », en compensation d’émissions carbone négatives pour le climat. Moi, Etat ayant atteint mes objectifs de réduction avec une certaine avance, je peux émettre un crédit et le vendre à un autre Etat en retard. Nombre d’organisations estiment que ces recettes tirées de ces ventes par les pays moins développés pourraient être un levier fort contre le changement climatique. A l’inverse, moi, Etat, entreprise, qui n’aurais pas réussi à réduire suffisamment mes rejets de GES, je peux me contenter d’aller acheter des crédits, surtout si j’ai beaucoup d’argent, sans remettre en question mes émissions. L’illustration d’un monde libéral qui fait confiance en les mécanismes de marché pour résoudre les problèmes… En tentant une régulation institutionnelle, c’est l’objet de ces discussions. Mais « résoudre les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés », à savoir la marchandisation des enjeux climatiques, n’a jusqu’à présent pas donné de résultats probants du tout. Le changement climatique obéit à des principes physiques, pas à ceux d’une économie virtuelle, et l’urgence de l’urgence, c’est de réduire les émissions, pas de les compenser. Un principe contestable, donc, mais déjà bien installé dès le Protocole de Kyoto, face auquel émerge une question que nous, élus aux responsabilités, nous posons quotidiennement : refuser de s’engager considérant que le parti-pris initial est mauvais ? Ou tenter d’agir, dans le cadre d’un système imparfait, pour essayer d’améliorer ce qui peut l’être ?

Ici, le parti-pris des observateurs que j’ai rencontrés est le deuxième, considérant que pour avoir une chance de gagner une partie, il faut jouer avec les règles du jeu en place. De notre fenêtre de collectivité, ici encore, il y a un enjeu à ce que nous soyons mentionnées : nous n’avons pas accès aux marchés carbone, qui, si un système vertueux venait à être finalisé, nous permettraient de compenser nos émissions résiduelles.

Cette plénière est impressionnante de par le nombre de parties représentées : pour chaque Etat, pour chaque « partie », un siège sur les bancs officiels. Une plénière impressionnante de technicité, aussi : les représentants des « parties » prennent la parole, brièvement et de manière très ordonnée, pour réclamer des amendements supplémentaires, et plusieurs d’entre eux appellent à tout faire pour aboutir à un accord, « even late at night » (même tard dans la nuit).

Je vais échanger avec la représentante de la délégation française, pour porter notre demande de prise en compte des collectivités : « les sujets transversaux, ce n’est pas moi ». Cela me donne une idée de la structuration de la délégation française, chaque membre concentré sur « son » article, son sujet. 

Une équipe que l’Ambassadeur de France pour le Climat nous présente sur Twitter : 

Des négociations techniques difficiles à suivre

En réalité, la journée d’aujourd’hui le confirme : la teneur des négociations de la COP nous est quasiment inaccessible, à nous, participants accrédités mais non membres des équipes nationales de négociations. Inaccessibles, inaccessibles de par des échanges très techniques, inaccessibles car le rythme des différentes négociations et annonces est très rapide sur les derniers jours… Inaccessibles pour nous, mais pas a-politiques pour autant : le bataillon de négociateurs présent répond à des directives de leur gouvernement. Je suis l’avancée des négociations par voie de presse, ou en échangeant régulièrement avec des observateurs avertis, ce qui me permet de comprendre ce qui se joue.

Mais peu de personnes extérieures aux négociations sont en réalité en mesure d’assurer un suivi heure par heure de négociations très techniques.

La nouvelle se confirme dans l’après-midi : pas d’intervention en plénière pour moi. Le Maire de Londres prend la parole, mais globalement les interventions aujourd’hui sont plutôt très techniques. Heureusement, CGLU avait fait en sorte que le plaidoyer puisse être audible en vidéo, à retrouver par ici !

La journée se termine avec une réception à la Mairie de Glasgow, qui accueille l’ensemble des élus locaux encore présents à la COP. Je retrouve la Maire de Glasgow rencontrée le matin… et l’autre Maire, Philip Braat, le « Lord Provost », nommé pour représenter la Couronne du Royaume-Uni à Glasgow. Encore l’occasion de nombreux échanges entre élus, de France et du monde.

Ce vendredi, une bonne partie de la délégation de Cités Unies France et CGLU repart. L’occasion d’une photo souvenir dans le lieu phare de la COP !

Au programme, aujourd’hui :

  • 7h10 : France Bleu Poitou, en direct à 7h17
  • Nous retrouvons France 3, qui propose de nous suivre toute la matinée.
  • 10h30 : Passage à la manifestation « Fridays for Future » 
  • 11h  : Rencontre avec deux groupes de jeunes (RESES – prévus hier !- et Polytechnique Grenoble)
  • 14h45  : Participation au Side-event Global Youth Climate Pact, dont l’Espace Mendès-France est partenaire.

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