Tribune parue dans Libération, à l'occasion des Rencontres Nationales de l'Education Populaire.
Philosophie éducative autant que multiplicité d’acteurs, l’éducation populaire couvre une diversité d’espaces qui ont en commun la confiance en la capacité de chacun à être acteur de sa vie, et en l’action collective comme fondatrice du vivre ensemble. Boostée par le développement du temps libre sous le Front populaire, au cœur des débats sur la démocratisation culturelle, elle vit en 2022 dans les Maisons de quartier, les clubs sportifs, les associations et initiatives citoyennes… Autant de lieux d’engagement quotidien, sans lesquels le COVID aurait eu un impact bien plus grave sur la cohésion sociale.
Pourtant, l’éducation populaire disparaît des débats et des politiques publiques. Elle est fragilisée par la crise de ses modèles économiques, tout autant que par la méconnaissance croissante du grand public et des nouvelles générations politiques. Les Ministères du Sport, de la Jeunesse et de l’Education Populaire, sont absorbés par le Ministère de l’Education Nationale en 2021, invisibilisant tout autre champ éducatif que celui de l’école. Le patrimoine public des centres de vacances est vendu à des promoteurs touristiques, lorsqu’il est en bord de mer ; laissé en déshérence, s’il est à la campagne.
Il ne s’agit pas de défendre une vision nostalgisante de l’« éducpop’ ». Encore moins d’opposer les espaces éducatifs entre eux. L’éducation populaire est complémentaire de l’école, chacune ayant ses finalités, unies par l’aspiration à une éducation équilibrée offerte à chacun. Chacune mérite le respect de l’Etat, chacune en manque aujourd’hui cruellement. Il s’agit d’alerter sur une vision émancipatrice de l’éducation qui disparaît en même temps que nos colonies à la mer.
Depuis des années, les politiques éducatives, enfermées dans des logiques gestionnaires, oublient qu’à la question des moyens doit précéder celle de l’horizon dessiné par l’éducation. Qu’est-ce qu’un projet d’éducation, si ce n’est le chemin construit pour et par chacun vers un futur désirable ?
Aujourd’hui, la réussite éducative ne semble trouver de reconnaissance que par le succès de l’insertion professionnelle. Peu à peu, il n’est plus d’autre horizon que l’accès à l’emploi - et au plus vite. Cette vision est totalement inapte à répondre aux préoccupations actuelles d’une jeunesse qui, au-delà de l’emploi, est en quête de sens, dans un monde en plein bouleversement. Tenons bon sur la reconnaissance de la diversité des voies de réussite. L’émancipation intellectuelle, culturelle, politique, hors du seul rapport au travail, était au cœur des progrès sociaux et éducatifs des derniers siècles ; et elle doit rester un enjeu majeur de politique publique.
Aujourd’hui, la valeur des espaces collectifs, où s’expérimente la citoyenneté active et le vivre ensemble, est de moins en moins reconnue ; et leur désaffection, entretenue par l’approche politique libérale et individualiste dominante. Le rôle des associations, creusets de cet engagement collectif, est atrophié par l’arrêt brutal des contrats aidés en 2017 ; et l’on tend de plus en plus à les considérer comme des supplétifs de l’Etat, des lieux d’assertion descendante de valeurs de la République, plutôt que d’émergence d’une libre conscience citoyenne.
Or, face à la désaffection politique, au surgissement des aspirations communautaires ou autoritaires, il est urgent de rappeler que la démocratie ne se décrète pas, mais qu’elle s’apprend, et se pratique. Que la République ne sera jamais aussi forte que si elle est comprise, choisie, éprouvée par de sains débats. Ainsi, formons des citoyens engagés plutôt que des récitants de valeurs républicaines désincarnées ; des citoyens éclairés, libres de penser, de s’organiser collectivement plutôt que de jouer dangereusement avec la facilité populiste.
Redonner du sens à l’éducation politique, réhabiliter les espaces collectifs, comme horizons positifs face aux crises démocratiques, sociales, écologiques : c’est le rôle que doit jouer l’éducation populaire.