Chers collègues, chers citoyennes et citoyens qui nous suivez ici ou en ligne,
Merci pour votre présence ce soir, pour ce Conseil Municipal qui nous rassemble dans un contexte inédit, et très lourd pour notre pays.
Il y a un peu plus d’une semaine, nous découvrions le résultat des élections européennes. Ils manifestent un double drame, une double urgence.
D’abord, le score historiquement élevé, mais sans surprise, du Rassemblement National. Y-compris ici, à Poitiers, dans notre ville que nous considérions jusqu’alors relativement épargnée, le « bloc d’extrême droite » dépasse les 20%. En 2019 aux européennes, il faisait 16%. En 2017, 10% pour Marine Le Pen. Un doublement, en moins de dix ans.
L’autre drame, c’est la quasi disparition, dans les urnes comme dans les débats, de l’enjeu écologique. Avez-vous entendu parler, entendez-vous ces jours-ci parler, des politiques pour lutter contre le bouleversement climatique ? Contre l’érosion de la biodiversité ? Non. Or, faut-il le rappeler, ce sont des urgences physiques, qui avancent sans nous attendre, sans attendre que nous ayons le temps de cerveau disponible pour mettre ces urgences sur le haut de la pile politique.
Et ce sont bien les deux faces d’une même pièce : à mesure que les crises environnementales vont augmenter sans être régulées, les peurs et donc la tentation du repli sur soi et du tout sécuritaire risquent d’augmenter ; et nous ne pourrons pas être collectivement forts face à ces crises dans une société aussi fracturée, aussi inégalitaire, aussi contrainte dans ses libertés que l’est celle que nous promet l’extrême droite.
Dimanche, pas le temps de faire atterrir nos émotions qu’est tombée cette annonce, brutale, de dissolution du Parlement. Une décision que le chef de l’Etat qualifie de « grenade dégoupillée dans les pattes de ses adversaires », en marge de la commémoration du 80e anniversaire du massacre d’Oradour sur Glane - l’indécence incarnée. Et c’est à nous qu’on vient donner des leçons de valeurs républicaines !
Cette dissolution manifeste une déconnexion et un manque de respect absolus. Quel manque de respect pour les parlementaires actuels et leurs équipes ! Quel manque de considération pour les administrations d’Etat et les collectivités locales qui doivent organiser le scrutin dans un temps record, après une année épuisante et dans la période la plus lourde de l’année ! Pour ces scrutins nous aurons besoin d’un fort engagement citoyen pour tenir les bureaux de vote. Tous les volontaires sont bienvenus, aux côtés de nos élus et de nos agents, que je remercie.
Et avec cette dissolution, quel manque d’empathie totale pour les citoyennes et les citoyens d’un pays manifestement fracturé, politiquement, socialement, qui ont besoin d’apaisement et de repères plus que de brutalité et de confusion.
Mais avant tout, face à quel danger, considérable, nous met aujourd’hui le chef de l’Etat. Déjà, au lieu du barrage promis nous assistions depuis deux ans à une remise progressive des clés du pays, une par une, au Rassemblement National, avec l’élection de Vice-Présidents d’extrême droite à l’Assemblée Nationale, avec la loi immigration donnant forme législative à leur projet sociétal, avec la restriction petit à petit les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression ou d’association au nom des « valeurs de la République ». Aujourd’hui, alors que tant de portes ont déjà été déverrouillées pour qui s’emparerait demain du pouvoir, une porte de plus est ouverte. Le chef de l’Etat jette en pâture notre avenir, et l’avenir de notre République, au pire moment. Celui où la colère et la détresse du pays n’a jamais été aussi forte depuis des années. Le danger, c’est celui d’insulter notre histoire : alors que nous commémorons cette année le 80e anniversaire de la libération des premiers camps de la mort, nous nous apprêterions sans sourciller ou si peu à mettre au pouvoir un parti fondé par des anciens Waffen SS, et qui assume sa proximité avec des dictatures comme celles de Bachar el Assad ou Poutine. Et le danger, aujourd’hui, n’est pas un danger théorique, mais un danger bien réel, pour toutes les personnes n’étant pas du bon côté du projet du Rassemblement National : les personnes racisées, les personnes ne pratiquant pas la bonne religion, les homosexuels, les femmes, les plus pauvres. Si demain le Rassemblement National s’empare des responsabilités, toutes et tous verront leur vie, verront leurs droits, changer. Et pour nous toutes et tous, et de manière très concrète, les principes fondamentaux de liberté, égalité, fraternité, seront encore lourdement et durablement dégradés.
Alors, bien sûr, face à cet ultimatum imposé lors des prochaines élections nous nous levons toutes et tous ici pour nous opposer au Rassemblement National. Et c’est salutaire. Mais les NON au RN, placardés en grand, la main sur le cœur, ne suffisent plus face à un RN qui n’est plus diabolisé, mais de plus en plus assumé, voire revendiqué par nos concitoyennes et nos concitoyens.
Face à cela, il nous faut tout d’abord être à la hauteur. Face à l’irresponsabilité des sommets de l’Etat, faisons preuve de maturité, d’unité, et de combativité. Adoptons une posture politique digne du moment historique que nous vivons. Et face à la précipitation imposée, tentons de donner de la qualité à l’exercice démocratique majeur à venir.
C’est là l’urgence, telle que l’évoque récemment Lionel Jospin : « [Le Président de la République a permis à] l’extrême droite de frapper aux portes du pouvoir. Battons-nous, calmement et démocratiquement, pour qu’elles restent fermées » pour reprendre ses mots.
Il y a l’urgence d’être à la hauteur, mais aussi et ensuite l’importance d’être à l’écoute. Ce serait une erreur que de mépriser, de cantonner à un procès en diabolisation, les 20% de votants poitevins qui ont accordé leurs voix au Rassemblement National. Vous êtes un sur cinq, et votre vote nous oblige. A tenter de comprendre les raisons de votre choix, de votre détresse sans doute. A vous entendre, déjà, sur les marchés, il y a le sentiment d’abandon, le constat du recul des services publics, des services de proximité, de santé, les commerces : partout, les guichets qui disparaissent pour laisser place à des machines, ou à un vide social. Le sentiment d’injustice, face aux incivilités du quotidien, ou à la plus grande délinquance qui ne trouve plus de réponse dans une présence humaine de proximité.
Ecouter, et puis s’engager, continuer à agir, comme nous essayons de le faire, par plus de proximité, par plus d’efficacité de l’action publique, par la reconquête de tous les espaces publics délaissés, par plus d’actions qui forgent le lien social aussi, car la méfiance et la peur se nourrissent avant tout de l’isolement. Je crois que malgré tout nous avons un modèle poitevin à défendre : un modèle riche de son maillage associatif et de ses acteurs de l’éducation populaire ; riche de l’unité dans la diversité de ses différents quartiers ; riche de la confiance en l’humain qui doit réinvestir tous nos quartiers, comme nous l’affirmons par exemple aujourd’hui en créant un service public de la médiation sociale à Poitiers.
Chers collègues, je crois profondément que le rôle des collectivités, et singulièrement des communes, est essentiel aujourd’hui. Nous, élus, administration, incarnons le repère, la stabilité, la présence du service public inconditionnel et humain dont ont besoin nos concitoyennes et nos concitoyens. Et, malgré l’état de sidération qui s’est emparé de nous depuis une semaine, et quoiqu’il se passe le 9 juillet prochain, je sais pouvoir compter sur vous pour être là, tout simplement ; pour tenir le rang du service public de proximité auprès de la population ; et pour continuer à avancer, au service de notre territoire.
Dans la feuille de route pour cette mandature, nous appelions à faire de Poitiers « Une ville de résistance humaniste, engagée pour la justice sociale, et la dignité de toutes et tous » : je crois que jamais, plus qu’aujourd’hui, cette formule ne nous a autant engagés.
Merci pour votre attention.
Léonore Moncond'huy