La COP26 : billet d'humeur, depuis Poitiers

L’expérience de la COP26 a quelque chose de l’ordre de la sidération. C’est l’avantage d’un regard semi-extérieur : il n’est pas aux prises avec le caractère grisant des négociations (qui peut vite aveugler sur les enjeux réels)

Mais il est suffisamment proche pour comprendre qui sont les personnages, quelle est la pièce qu’ils et elles jouent, et finalement avoir les moyens d’un regard critique éclairé. Mon bilan sommaire du résultat des négociations est proposé par ici. À lire aussi l’article publié par BonPote

Depuis le poste d’observation, on assiste à l’échec des dirigeants du monde à s’accorder pour protéger l’avenir de l’humanité, en toute connaissance de cause des menaces vitales qui pèsent sur elle. 

Car, on aura beau dire, mais on SAIT ce qu’il faut faire pour lutter contre le changement climatique. Si les Etats le voulaient vraiment, ils organiseraient rapidement et drastiquement la baisse de la production d’énergies fossiles, au rythme demandé par la communauté scientifique. Et le savoir-faire est là ! J’ai vu tellement de compétences dans et autour de cette COP, qui n’attendraient qu’une impulsion politique pour mettre leur expertise au service du bien commun.

Au lieu de cela, les négociations semblent tout faire pour freiner la mise en place de mesures à la hauteur, et les engagements sont des « promesses creuses » (dixit le Secrétaire Général de l’ONU), souvent fondées sur des illusions technologiques.

DE QUOI LA COP26 EST-ELLE L’ECHEC ?

Échec de la science ?

Jeudi 11 novembre, veille de la fin officielle de la COP26, plus de 200 climatologues du monde entier ont publié une tribune pour exhorter les dirigeants à tenir compte des enseignements de la science.

Comment se fait-il que, dans un monde qui ne jure que par la science face au COVID, la science du climat ne conduise pas à l’action ?

Je suis touchée par les scientifiques, climatologues, qui, aujourd’hui…

Se questionnent sur leur responsabilité, comme François Gemenne, Chercheur spécialisé en géopolitique de l’environnement, membre du #GIEC.

Questionnent ce que l’on peut ressentir face à cet état des lieux scientifique ou avec le déni, comme Christophe Cassou, Directeur de Recherche au CNRS et membre du GIEC, face aux Sénateurs.

https://twitter.com/i/status/1446142666488619011%20

Tiennent bon, tout court, comme Jean Jouzel, paléoclimatologue et membre du GIEC, qui conseille encore les décideurs. Je l’imagine porté par l’espoir que l’un d’entre eux écoute le science, vraiment.

Echec de la parole politique

La #COP26, c’est l’échec de la parole politique.

Du début à la fin de la COP26, on a assisté à un concert de déclarations toutes plus solennelles les unes que les autres, qui en appelaient encore et toujours aux « générations futures », ou de plus en plus souvent, à leurs enfants et petits enfants – comme le temps passe…

« Allons-nous agir ou condamner les futures générations à souffrir ? »

Joe Biden, en ouverture.

« L’humanité a longtemps joué la montre sur le climat. Il est minuit moins une et nous devons agir maintenant » .

Boris Johnson, en ouverture.

« We are making life and death decisions for the planet »

John Kerry, chef des négociations pour les USA, à la fin des négociations.

Le discours du Président de la République française à l’ouverture de la COP26 était un vrai festival : 

« Le dérèglement climatique, c’est l’injustice au carré. […] Ce sont ceux qui n’ont pas porté les modèles de développement qui ont causé cette crise qui en vivent les premiers les conséquences. Ils en sont les premières victimes ».  L’Union Européenne, dont la France, ont freiné toute avancée sur les « loss and damage ».

« Le leadership exige l’exemplarité (…). J’appelle tous les pays qui ne sont pas au rendez-vous de leur juste part à prendre leurs responsabilités pour pouvoir tenir l’engagement de Paris ».

Doit-on rappeler la récente condamnation de la France pour inaction climatique avec #NotreAffaireATous ? Doit-on rappeler le sort des 150 propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat censées être votées “sans filtre” ?

« Nos jeunesses [ …] veulent nous voir prendre des engagements. […] Ce sont nos actions, nos résultats, qui redonneront une pleine confiance à notre jeunesse ».

Ah, « notre » jeunesse… Celle-là même dont la France condamne sciemment l’avenir, en étant le seul pays européen du G20 à avoir augmenté ses financements fossiles depuis la signature de l’Accord de Paris (+24% en 2019).

Comment, face à la décorrélation si entière entre les mots et les actes, exprimer la détresse réelle et sincère de nombre de pays, et au-delà de ça, de nombre d’entre nous ?

« Pour ceux qui ont des yeux pour voir, des oreilles pour écouter, et un cœur pour ressentir : pour survivre, nous avons besoin de limiter le réchauffement à +1,5°C. 2°C serait une condamnation à mort pour les populations d’Antigua et Barbuda, des Maldives, des Fidji, du Kenya ou du Mozambique, des Samoa et de la Barbade. Nous ne voulons pas de cette condamnation à mort et nous sommes venus ici pour dire ‘redoublez d’efforts, redoublez d’efforts’ car nous voulons exister dans cent ans”.

Mia Mottley, première Ministre de la Barbade, dont le pays est directement menacé par la montée des eaux.

« Nous voulons exister dans cent ans, et si notre existence signifie quelque chose, alors nous devons agir dans l’intérêt de nos peuples qui dépendent de nous ». « Si nous ne le faisons pas, nous permettrons à la cupidité et à l’égoïsme d’encourager notre destruction commune ».

La COP26, c’est une nouvelle trahison du langage, vidé de sa capacité à représenter le réel. En ce sens, le « Bla, bla, bla » de Greta Thunberg sonne terriblement juste.

Or c’est exactement de ça dont se nourrit la défiance actuelle envers le politique, et dont se nourrissent les nationalismes et les populismes qui montent partout dans le monde. Des mots, qui ne reflètent en rien la sincérité de la pensée ; des promesses, creuses. Des trahisons permanentes,  qui nourrissent la colère, qui nourrissent les extrêmes, qui nourrissent l’abstention et la désaffection pour l’engagement politique.

Retrouver la fiabilité de la parole politique : une autre urgence, démocratique celle-ci, sans laquelle nous, politiques, perdrons toute capacité à guider la marche du monde, par un fossé définitivement creusé entre les citoyennes citoyens et nous.

Echec du multilatéralisme ?

Vous êtes plusieurs à m’avoir interpellée sur l’inutilité des COPs. 

Il est vrai que depuis la première COP, les émissions de gaz à effet de serre n’ont fait qu’augmenter. Certains parlent même de « schisme de réalité », comme Stefan Aykut : une scission totale entre les discussions des COP et le réel.

C’est une autre raison de ma colère : l’échec des COPs conduit à la remise en question, par les citoyens, de la crédibilité et la pertinence même des organisations multilatérales. Pour rappel, ces organisations, autour de l’ONU, sont nées dans l’objectif de garantir la paix dans le monde, à l’issue de la deuxième guerre mondiale. La Paix, si fragile, face aux bouleversements induits par le changement climatique. Pour le climat, qui dit crise mondiale dit réponse mondiale, et elle ne pourra être efficace que si elle est coordonnée dans des cadres comme les COPs.

Une COP, à la base, c’est une manière de se dire : « OK, on a un problème, on va se mettre tous autour de la table pour essayer de le régler ». Nous serions nombreuses et nombreux à avoir ce réflexe ! Les COP, c’est avant tout un cadre de négociations, qui vise à prendre des décisions collectives.

Le problème n’est pas les COP, le problème n’est même pas les textes qui en ressortent si on pense à l’Accord de Paris. Le problème, c’est les Etats qui ne tiennent pas leurs engagements, ensuite ! Et qui refusent tout mécanisme contraignant. Il ne faut donc pas faire aux COP le procès de l’inaction des gouvernements. L’échec des COPs, c’est l’échec des volontés politiques, pas des COPs elles-mêmes.

Le mode de décision pourrait être questionné : dans les COPs, les décisions se prennent au consensus, c’est-à-dire qu’il faut l’accord des 196 pays pour qu’un texte soit validé. Cela conduit souvent à des décisions correspondant au plus petit dénominateur commun, donc non ambitieuses.

On peut en donner la lecture suivante. Les Etats ont, collectivement, intérêt à tout faire pour freiner le changement climatique. Mais d’un autre côté, dans un système économique libéral, ils ont tous également intérêt, pour optimiser leur prospérité nationale à court terme, à ne pas changer leurs modèles économiques. Un Etat qui s’engagerait, seul, à prendre les devants et aller plus loin, prendrait le risque d’une perte d’avantages de son pays par rapport aux autres, sans y gagner à la fin puisque le changement climatique ne connaît pas de frontières. Cette lecture peut expliquer l’inertie actuelle des négociations, autant qu’elle justifie le cadre international dans lequel elle se déroule : ils est très difficile pour un Etat, seul, de s’engager dans la voie d’un changement drastique, si d’autres ne le font pas aussi et simultanément. Nous nous constatons prisonniers d’un système fondé sur la compétition, plutôt que sur la coopération. Prisonniers d’une opposition entre le court terme (= souvent le temps politique) et le long terme (= l’intérêt de l’humanité).

Mais le leadership peut aussi jouer un vrai rôle d’entraînement, c’est un rôle que peut adopter la France. Un exemple : je vous ai largement parlé de l’enjeu des « loss and damage ». Nicola Sturgeon, Premier Ministre d’Ecosse, a été le leader sur cet enjeu très controversé : elle est la première à avoir engagé son gouvernement à hauteur de 2,5M d’euros/an. Peu de temps après, elle a été suivie par la Wallonie à hauteur de 1M d’euros/an, puis par l’Allemagne, jusqu’à laisser ouverte la possibilité que la proposition de la coalition des pays du Sud soit finalement acceptée. Des sommes très faibles, et finalement un échec, mais il est intéressant de constater que ces propositions susceptibles d’ouvrir la voie viennent… de collectivités, et de leaders féminines. De même que le Danemark, premier producteur européen d’hydrocarbures, a annoncé l’arrêt des exploitations pétrolières, sous l’impulsion de sa jeune Première Ministre, Mette Frederiksen.

AVANCER ENSEMBLE

L’échec de la COP, c’est l’échec des Etats à reprendre la main sur la marche du monde, et à réguler les logiques économiques qui nous entraînent dans le mur.

L’enjeu est aujourd’hui d’intensifier la mobilisation auprès des Etats, mais aussi auprès des entreprises les plus polluantes, qui refusent, via du lobbying intensif, toute régulation internationale. 

Nous avons en main, collectivement, le pouvoir de les pousser à répondre de leurs choix, le pouvoir de faire basculer les opinions citoyennes, le pouvoir de l’exemplarité collective, individuelle, locale.

L’action locale

J’ai passé tout mon déplacement à la COP à défendre la place des collectivités face au changement climatique. En première ligne pour agir, au plus proche du quotidien des personnes, nous serons aussi en première ligne demain pour assumer les conséquences des décisions qui ne sont pas prises aujourd’hui. Nous avons besoin de soutiens, et il faut reconnaître que plus le temps passera sans action internationale forte, plus notre rôle se recentrera sur l’adaptation de nos territoires, et la protection des habitants.

Nous, élus locaux et élues locales, nous avons la chance de pouvoir agir. Oui, c’est une chance, car l’action permet de dépasser la prostration que peut générer des perspectives climatiques si difficiles. Face à des Etats dont l’histoire retiendra qu’ils auront été incapables de s’accorder pour préserver notre avenir, nous sommes du bon côté de l’histoire, notre engagement a du sens, et nous sommes utiles. Nous pouvons agir, pour atténuer notre impact sur le climat et adapter notre territoire, avec plus de réactivité que les Etats et en recherchant le plus d’efficacité possible. Nous pouvons mobiliser autour de nous, nos partenaires, les citoyennes et citoyens, pour qu’elles et eux aussi agissent, et fassent boule de neige.

Nous avons la responsabilité, localement, de nous montrer plus forts que les divisions qui décrédibilisent les institutions multilatérales. Et surtout, nous avons la responsabilité, par des engagements fiables, qui auront la force de l’exemplarité, de tout faire pour garder vivante la confiance des citoyennes et citoyens en la politique, en notre pouvoir d’agir collectivement, et de reprendre en main notre avenir.

En étant en même temps conscients, en tant que français, de l’ordre de grandeur des changements attendus si nous voulons être exemplaires. En France, la moyenne des émissions annuelle par habitant est évaluée à 10 tonnes d’eqCO2 en moyenne, très loin de l’objectif de 2 tonnes/an d’ici 2050. A l’échelle mondiale, l’impact du confinement quasi-généralisé n’a pas suffi pour remplir cet objectif, c’est dire les changements attendus. Les principaux postes d’émissions carbone (transports, logement) reposent largement sur des décisions politiques… mais il faut les accepter 😊

La justice

C’est une autre source d’espoir. Qui pour en parler mieux que Marie Toussaint, initiatrice de L’Affaire du Siècle, qui a conduit à la condamnation de l’Etat pour inaction climatique :

https://youtu.be/WTLIYbsnEP8%20

« Les actions en justice pour le climat menées face aux états ou aux industries des énergies fossiles commencent à recevoir des issues favorables, et cette tendance n’est pas prête de se renverser. Face à l’absence d’avancées sur les pertes et dommages, Antigua et Barbuda a décidé de porter plainte… Une fois de plus, la justice pourrait venir des tribunaux. On leur souhaite bonne chance ! Espérons aussi que ces actions en justice pourront donner valeur contraignante aux « accords parallèles » de la COP26… »

La mobilisation citoyenne

En bref, l’échec de la COP26, c’est avant tout le signe qu’aucun sursaut de prise de conscience n’a eu lieu. Pour enclencher, enfin, une prise de conscience global, il faut agir à tous les niveaux : il faut agir individuellement,  soutenir et faire converger toutes les énergies militantes, politiques, citoyennes, économiques, de l’échelle locale à l’échelle globale. L’objectif : atteindre le point de bascule qui pourra, en prenant de l’ampleur, faire gagner l’intérêt de notre communauté humaine, sur toute autre considération. 

***

Partir de Glasgow après la COP pour rejoindre Poitiers, c’est un voyage direct et un peu étrange depuis le « penser global » vers le « agir local ».

Partir d’un espace où l’urgence climatique s’affiche partout, pour retrouver un territoire, où l’Etat lance un « grand débat » sur une nouvelle autoroute, où pour être « en phase avec la réalité » on propose de relancer des lignes aériennes… On mesure le chemin qui reste à parcourir.

Mais surtout, partir d’un espace où la question de l’avenir se pose en chiffres, en degrés et en dollars, pour retrouver un territoire dans toute sa dimension humaine, avec les événements qui animent son quotidien, les échanges de tous les jours. C’est la parole des gens que nous portons, en tant que Maires, et c’est la préoccupation pour l’avenir de chacun d’entre eux et chacune d’entre elle que nous emmenons avec nous dans les COPs.

Partager les enjeux globaux, porter au quotidien les petites et grandes batailles de l’action à l’échelle locale, dans toute la complexité du réel et la chaleur des liens humains : c’est aussi ça, la chance et la responsabilité de Maire.

Cette publication a un commentaire

  1. Isabelle

    Merci Madame pour votre engagement. Penser global et agir local. C’est un bon début. Vous ferez des émules. Nous mettons tout en oeuvre, en tant que simples citoyens, pour atteindre le « point de bascule » #fresqueduclimat #avenirclimatique

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