Quel bilan pour la COP26 ?

Je vous présentais il y a quelques jours quelques-uns des objectifs de la COP… Le « Pacte de Glasgow pour le Climat » ayant été finalement acté samedi soir, je vous propose de faire un bilan (presque) à froid à partir de ces objectifs.

Avant tout, il faut l’assumer d’emblée : la COP26 n’a pas permis de « sauver les 1,5°C ». Le Pacte de Glasgow n’est pas du tout à la hauteur de l’urgence climatique. Alors qu’il devait « sauver l’objectif des 1,5° », il hypothèque une fois de plus notre avenir en le soumettant à des engagements dilués et insincères des États. Sans action immédiate, nous nous acheminons tout droit vers + 2,7°C. 

Dernières négociations révélatrices

Les enjeux des négociations ont été largement documentés dans la presse, mais suivre (à distance !) les derniers échanges en plénière s’est avéré éloquent.

Un exemple ? 

Déléguée du Costa Rica : « Ce n’est pas l’accord parfait, mais c’est un accord avec lequel nous pouvons vivre »

La réponse n’a pas tardé de la Déléguée des Maldives, dont l’ensemble du territoire se situe à moins de 2m au-dessus du niveau de la mer : « Pour nous, c’est un enjeu de survie. Ce qui semble équilibré et pragmatique à d’autres parties n’aidera pas les Maldives à s’adapter à temps – ce sera trop tard pour les Maldives ».

Le Ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, l’un des pays les plus directement menacés par le changement climatique, a donné un discours les pieds dans l’eau, dans une zone il y a peu encore émergée, pour alerter sur l’urgence d’agir.

Le « Glasgow Climate Pact » est partout présenté comme un texte de « compromis ». De nombreux pays pauvres, pourtant très attachés à des mesures finalement non présentes dans le texte, ont finalement accepté de le soutenir, à contrecoeur.

A la toute dernière minute des négociations, alors que le texte allait être approuvé… l’Inde et la Chine, coalisés pour l’occasion, ont imposé une proposition in-extremis visant à changer un mot dans le texte, au sujet de la sortie du charbon : le terme « progressive phase-out » (sortie progressive) est remplacé par “progressive phase-down » (diminution progressive). 

Par ailleurs, ni l’Inde, ni la Chine, fortement dépendants du charbon pour leur développement, n’ont signé d’accord sur la sortie de l’usage domestique du charbon.

Leur argumentaire a le mérite de la franchise : 

Délégué de l’Inde : « Comment peut-on attendre des pays en voie de développement qu’ils fassent des promesses à propos du charbon, et des ressources fossiles ? […] Le changement climatique est avant tout causé par des modes de vie non soutenables […] et par des modèles de consommation qui gaspillent les ressources ». « Nous voulons avoir une part juste du budget carbone qu’il nous reste », et « continuer une consommation responsable d’énergies fossiles ».

Ces propos de l’Inde sont en total décalage avec l’urgence de stopper, tout court, la consommation de charbon. On peut néanmoins s’interroger sur la notion d’équité dans la manière d’aborder le changement climatique. Une sortie équitable des énergies fossiles ne demanderait-elle pas un plan faisant peser les efforts les plus intenses sur les pays dits « développés » ? Et ne demanderait-elle pas d’avoir la même exigence vis-à-vis de toutes les énergies fossiles, charbon, qui concerne majoritairement les pays moins développés, et pétrole / gaz, pour les champions de la pollution du Nord ? Peu de temps après la COP, Joe Biden confirme le lancement de la plus importante plateforme pétrolière offshore jamais construite, dans le Golfe du Mexique

L’absence totale de volonté des pays riches, pourtant donneurs de leçons comme les USA ou la France, permet à des pays tels que l’Inde ou la Chine d’arguer du fait que si ces pays riches ne font pas leur part, ce n’est pas à eux de s’y engager en premier. C’est pourquoi le fait que certains pays prennent le lead, aussi « petits » soient ils considérés comme la France, pourrait vraiment avoir une influence.

Il s’agit donc avant tout d’un texte de « compromis » avec notre avenir, et en particulier celui des pays les plus menacés avant tout…

Le Président de la COP, Alok Sharma, a eu du mal à retenir ses larmes au moment de clôturer la COP26, et s’est dit « profondément désolé ».

Quels résultats ?

Pour rentrer dans les détails, à partir des objectifs que je vous proposais de suivre :

Obtenir de nouveaux engagements pour tout faire pour rester, vraiment, sous la barre des 1,5°C

Est-il encore possible de respecter l’Accord de Paris ? « Oui, à condition de commencer tout de suite, et de tenir ses promesses », répondait François Gemenne, membre du GIEC, en vidéo pendant la COP. Le problème, c’est que « les promesses d’action ont remplacé l’action elle-même »

Quels résultats pendant la COP ?

A ce stade, aucun. Le texte appelle à relever les engagements des Etats de réduction, dès 2022, mais… avec la possibilité d’aménagements pour « circonstances nationales particulières ». On peut craindre qu’elles seront nombreuses. 

Formellement, les Etats maintiennent l’objectif de 1,5°. Le texte s’appuie même explicitement pour la première fois sur les preuves scientifiques évaluées dans le 6e rapport du GIEC.

Mais cela ressemble de plus en plus à de la politique fiction : en réalité, il est de notre responsabilité de reconnaître que la COP26 a définitivement enterré l’objectif de 1,5°. Les engagements formels des états, non rehaussés, n’y suffiront pas, et surtout, depuis l’Accord de Paris ils n’ont été tenus par aucun des Etats signataires. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de feuille de route concrète pour faire en sorte de tenir ces promesses, et pas de mécanisme contraignant international. Dont acte.

Franchir le pas de l’adaptation et de la solidarité mondiale face au changement climatique

Alors que l’Accord de Paris prévoyait une répartition à 50/50 des fonds dédiés au climat entre l’atténuation et l’adaptation ; on estime aujourd’hui que seuls 25% des fonds sont effectivement dédiés à l’adaptation, souvent sans stratégie solide, y-compris en Europe et en France. 

Les états vulnérables demandaient une aide financière, correspondant à la promesse faite en 2009, à la COP15, d’un fonds de 100Mds d’euros/an pour les aider à réduire leurs émissions, et à adapter leurs territoires. Alors que rien n’avait été encore versé à l’ouverture de la COP26, la déclaration finale se contente de déplorer “avec grand regret” que cette promesse n’a pas été tenue et “exhorte” les Etats à le faire “urgemment” au plus tôt et jusqu’en 2025, date à partir de laquelle l’enveloppe devrait être doublée. Le texte de la COP demande aussi un doublement de fonds dédiés à l’adaptation.

Quand bien même ils seront atteints, le diable se cache souvent dans les « détails » : ces « fonds » sont majoritairement… des « prêts », aujourd’hui, et non pas des aides directes. Des prêts, qui vont remettre une pièce dans la dépendance des pays les plus pauvres vis-à-vis des plus riches, alors mêmes qu’ils ne se remettent pas d’une crise COVID à laquelle ils ont bien moins pu résister que nous… Le cynisme même.

Ces Etats demandaient aussi la reconnaissance des « pertes et préjudices ».

Un enjeu que résume le ministre de l’Économie et du Changement climatique des Fidji : 

« Quand les émissions ne sont pas réduites suffisamment, vous entrez dans le territoire de l’adaptation, et quand l’adaptation n’est pas suffisante, vous devez faire face aux pertes et préjudices ».

Jamais encore cela n’a fait l’objet d’une réponse internationale solide et structurée. Mais pendant la COP26, cette demande a été fortement portée, par les pays concernés, et par de nombreuses ONG.

Une coalition de pays (le G77 + Chine, représentant 70% de la population mondiale), a proposé de créer un « Glasgow Loss and Damage Facility », un mécanisme de financement permettant de reconnaître et prendre en charge les dégâts dans les pays déjà touchés par le changement climatique. 

Les « loss and damage » auront vraiment été un marqueur fort de cette COP. La Première Ministre Ecossaise, Nicola Sturgeon, a pris le lead sur cette question, en engageant son gouvernement à être le premier à contribuer au dédommagement des « loss and damage », à hauteur de 2,5M d’euros/an, suivie par la Wallonie à hauteur de 1M d’euros/an, puis par l’Allemagne pour atteindre 10M. Les sommes sont dérisoires au regard des enjeux, mais elles ouvraient la voie à de potentielles réponses.

Des réponses qui ne sont pas venues : suite à la pression de l’Union Européenne et des Etats-Unis, réticentes face aux risques juridiques et financiers d’un tel engagement, la proposition finalement adoptée consiste en un dialogue annuel jusqu’à 2024, le « Glasgow dialogue » – « Glasgow », encore, preuve de l’importance symbolique du sujet pour cette COP.

La justesse et la légitimité de la demande concernant les « loss and damage » est évidente ; mais c’est aussi un enjeu d’une grande complexité. Un enjeu sensible politiquement : agir pour les « loss and damage » se fonde sur la reconnaissance de la responsabilité historique des pays développés dans le changement climatique. Y sommes-nous prêts, collectivement ? Ce message peut-il être audible, de la part de pays qui sont très loin d’être exemplaires au regard du climat, aujourd’hui ? Financer l’adaptation, financer des compensations, sans par ailleurs agir drastiquement pour la réduction de nos émissions, ne serait-ce pas d’un cynisme difficilement soutenable ? Et peut-on vraiment, par des moyens financiers, réparer l’irréparable ? Enfin, nous nous inscrivons clairement dans une perspective de changement climatique qui s’aggravera, pendant des dizaines d’années. Une « assurance climat » ne peut pas être un mécanisme ponctuel ; c’est un mécanisme assurantiel d’ampleur, structurant à l’échelle mondiale, cadré par la force publique, qu’il faut construire. Espérons que cette COP aura vraiment permis de franchir un cap pour le faire.

Engager la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles

On sait que “pour conserver 50% de chance d’arriver à une température de +1.5 °C, 90 % du charbon et 60 % du pétrole et du gaz connus doivent rester dans le sol”.

L’accord de Paris de 2015 ne contenait pas le terme « énergies fossiles » (ni « charbon », « pétrole »…) qui sont pourtant la source directe du changement climatique. Tous les textes issus des précédentes COP s’étaient toujours concentrés sur la réduction des émissions, du fait notamment du poids des lobbies et pays producteurs d’énergies fossiles (dont la présence massive à Glasgow témoigne de l’importance financière des négociations) tenter d’agir sur les conséquences sans agir sur les causes du problème est une faiblesse évidente.

En ce sens, le fait que, pour la première fois, le « Pacte de Glasgow » mentionne explicitement les énergies fossiles est un progrès. Le cap symbolique est franchi, d’autant plus symbolique dans un pays dont la Révolution industrielle s’est massivement fondée sur le charbon.

Mais le texte final est bien faible et, encore une fois, assorti d’aucun engagement chiffré ni contraignant.

Le premier brouillon de texte appelait les pays à “accélérer la sortie du charbon et des subventions aux énergies fossiles”. Sous la pression in extremis de l’Inde et de la Chine, le texte adopté appelle finalement à “intensifier les efforts vers la réduction du charbon sans systèmes de capture (de CO2) et à la sortie des subventions inefficaces aux énergies fossiles”.

Les « systèmes de capture de CO2 » sont des technologies dont la maturité ne suffira pas à répondre à l’urgence à ce stade, qui relèvent de la croyance technologique. Et je laisse l’incongruité de l’expression « subvention inefficace » (il existerait des « subventions efficaces » aux énergies fossiles ?!) à votre appréciation.

Et le marché carbone ?

Je vous parlais jeudi de l’épineux dossier de l’« Article 6 » de l’Accord de Paris, qui concernait les marchés carbone. Après des années d’échec des discussions, un accord a finalement été trouvé à Glasgow, à l’issue de discussions extrêmement rudes. Cela donne une idée des enjeux financiers majeurs, moins visibles, mais pourtant déterminants dans l’issue des COPs. Formellement, cela permet la finalisation des règles d’application de l’Accord de Paris.

Le mécanisme du marché carbone international est désormais lancé, vrai levier pour certains, greenwashing massif pour d’autres, c’est un enjeu très technique qui, mal cadré, pourrait en tout cas vider l’Accord de Paris de toute substance. Ce marché pourrait autoriser la mise en place de compensations carbone massives, sous forme de marchés et de crédits totalement artificiels donc inefficaces pour le climat voire dangereux. Les conséquences sont encore difficiles à mesurer, et les mécanismes de contrôle déjà dénoncés comme étant insuffisants. 

Et les collectivités, alors ?

On peut considérer que c’est « mission accomplie » : le rôle des gouvernements locaux est inscrit en préambule, et nous avons pu porter notre plaidoyer en plus haut lieu. A nous de savoir le faire entendre pour la suite, car là encore, aucune intensification du rôle stratégique des collectivités dans les COPs n’est prévue. Mais, face à une crise climatique mondiale, sans accord mondial pour y répondre, notre rôle, même si reconnu, consistera de plus à gérer l’adaptation des territoires, et les crises qui y sont liées. 

Ce bilan concerne le texte formel du « Pacte de Glasgow », mais on peut citer quelques autres engagements, hors cadre des négociations, ont été annoncés en marge de la COP.

Des alliances d’Etats ont ainsi annoncé

  1. Un accord sur la fin du financement à l’étranger des énergies fossiles. 39 pays, dont la France, ont signé un accord mettant fin aux financements à l’étranger de projets d’exploitation d’énergies fossiles sans techniques de capture du carbone d’ici à la fin 2022. De fait, quasi tous les projets financés par la France comportent une part de capture carbone, et pourront donc tranquillement rester financés.
  2. Un accord sur le méthane, le 2e gaz responsable du réchauffement climatique après le CO2, longtemps hors-radars des accords. 107 pays, dont l’UE, se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane de 30% d’ici à 2030, par rapport à 2020… Mais l’absence de nombreux pays fait que 45% des émissions mondiales ne sont pas concernées.
  3. Sur la déforestation : on recycle ! 180 pays, dont la France, se sont engagés à enrayer la déforestation d’ici à 2030. Pour une fois, il y a de l’argent en jeu -16 milliards d’euros- mais comme toujours, pas de plan de mise en œuvre : les engagements avaient déjà été pris en 2014, sans effet. 

Des engagements qui vont dans le bon sens, dans le sens où ils s’attaquent aux bons problèmes, mais, non respectés et non étendus à l’échelle mondiale, ils ne contribueront pas significativement à respecter les Accords de Paris.

***

Alok Sharma, le Président de la COP, a conclu : 

« I think we can say we have kept 1.5 within reach, but its pulse is weak. It will only survive if we keep these promises »

« Je pense pouvoir dire que nous avons maintenu l’objectif de 1,5° à portée de main, mais son pouls est très faible. Il survivra seulement si nous tenons nos promesses ».

Pouvait-il formellement assumer la mort des 1,5° ? 

Je crois aujourd’hui qu’il est de notre responsabilité de le faire, pour ne plus perdre de temps, et agir en toute lucidité vis-à-vis de nos concitoyennes et concitoyens. Nos gouvernements, qui semblent se complaire dans une politique fiction de plus en plus hallucinante à mesure que les mois passent, nous mettent dramatiquement en danger. Après avoir sciemment nié les alertes sur le principe du changement climatique, ils nient aujourd’hui les ordres de grandeur des changements attendus pour maintenir un monde vivable, de même qu’ils refusent de voir l’urgence de préparer les citoyennes et citoyens aux bouleversements attendus.

Formellement, aucun des objectifs attendus de cette COP n’a été atteint. Ni le sursaut de mobilisation générale pour l’atténuation. Ni l’engagement réel vers l’adaptation et la responsabilisation des pays historiquement responsables de la situation. Ni la solidarité, invisibilisée dans cette COP par l’absence de nombre des premiers concernés, diluée dans un concert de cynisme et de réticences à peine masquées des pays riches, qui reste plus que jamais un impératif. 

Toujours est-il que nos espoirs immédiats reposent désormais sur la capacité des Etats à tenir et renforcer leurs engagements… et donc, sur notre capacité à agir, et à faire pression sur nos gouvernements pour qu’agir devienne impératif.

Quelle place pour la colère ? Quelle place pour l’action qui permet de se projeter positivement dans l’avenir ?

C’est l’objet d’un bilan plus personnel, bien que politique, de cette COP, à retrouver dans cet article.

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